En exergue de ce poème, Pierre Jean Jouve a écrit : “L’esprit du poète est par hasard tombé sur le vieux texte de l’Ecclésiaste : Tout y est vanité et poursuite du vent.”
Songe
SONGE UN PEU au soleil de ta jeunesse
Celui qui brillait quand tu avais dix ans
Étonnement te souviens-tu du soleil de ta jeunesse
Si tu fixes bien tes yeux
Si tu les rétrécis
Tu peux encor l’apercevoir
Il était rose
Il occupait la moitié du ciel
Tu pouvais toi le regarder en face
Étonnement mais quoi c’était si naturel
Il avait une couleur
Il avait une danse il avait un désir
Il avait une chaleur
Une facilité extraordinaire
Il t’aimait
Tout cela que parfois au milieu de ton âge et courant
dans le train le long des forêts au matin
Tu as cru imaginer
En toi-même
C’est dans le cœur que sont rangés les vieux soleils
Car là il n’a pas bougé voilà ce soleil
Mais oui il est là
J’ai vécu j’ai régné
J’ai éclairé par un si grand soleil
Hélas il est mort
Hélas il n’a jamais
Été
Oh ce soleil dis-tu
Et pourtant ta jeunesse était malheureuse
Il n’y a pas besoin d’être roi de Jérusalem
Chaque vie s’interroge
Chaque vie se demande
Et chaque vie attend
Chaque homme refait le voyage tout est limité
comment voir davantage
Et nous nous avons inventé les machines
Elles sont arrivées brisant tout perçant le vieux sol
peuplant le vieil air
Ondes rayons axes brillants
Et voilà mon pouvoir est devenu terrible
Mon inquiétude aussi
Mon instabilité
Je ne tiens pas en place
Je cherche je deviens
Je n’ai plus mon vrai âge je m’amuse avec tout
Mais mon Dieu la guerre antique est revenue elle était
à peine changée
Le sang humain n’a qu’une manière de couler
La mort n’a qu’un pas toujours le même pour venir
sur moi
Son masque a-t-il varié c’est la cire
L’espace est raccourci mon âme est-elle plus neuve
Je ne dis pas meilleure
Je n’oserais pas
Pierre Jean Jouve, Les noces, Ed. Poésie/Gallimard
Bien à vous!
Géraldine