Poésie/Théâtre

Librairie Nouvelle

Ce soir, rejoignons Samira Négrouche à Alger.

Café sans sucre

Il y a des pages sans écriture qui vous

traversent au bout de la nuit celles

qu’un éditeur n’attend pas et qui sont

le chemin vers un livre imaginaire que

vous regardez s’éloigner à mesure que

le temps passe vous préférez penser

qu’il est à jamais dans la mémoire

morte de l’ordinateur.

J’aime boire le café avec un nuage de

crème faux j’aime le café sans rien

sans sucre je n’aime que le nuage

brumeux de l’aube que je surprends

avant le sommeil il se glisse et comble

silencieusement les creux des collines

j’aime ce filet de crème sur lequel je

traverse du sein au téton.

Une deux je compte les gouttes qui

tombent du ciel sur le bout de plastic

insolent qui traîne sur le balcon trois

quatre toutes les pensées sont bonnes à

chasser quand rien ne vient ni désir ni

sommeil je cherche une cigarette du

coin de l’œil et je ne fume même pas.

Rue Didouche Mourad minuit trente

cinq les deux hommes avancent ils

disent on va marcher jusqu’au bout

jusqu’à devenir petits jusqu’au vingt

troisième siècle je dis les poètes sont des

fous et heureusement que ces deux là

existent nous irons disent-ils à dos de

chameau jusque dans le désert en

attendant je dois traduire donner corps

à des virages qui me sont empruntés.

Les chats n’ont pas besoin qu’on leur

parle dans le creux de l’oreille ils ne

tournent pas autour des gamelles ils se

posent patients puis excédés sur le

bureau en désordre ils s’enroulent

avec adresse sur leur centre de gravité

à parfaite distance du radiateur tu n’as

pas levé le pied qu’ils savent déjà si tu

t’agites ou si tu sors.

Je dis pour écrire les choses les plus

banales il faut d’abord écrire sa

naissance de la mère du père de

l’amour du corps des femmes des

hommes du violeur et des assassins de

l’inceste et du doute de la nuit et de la

faim du désert des livres de la jalousie

du soupçon du sexe des ruines de la

mer des arbres de l’archéologie des

dieux grecs et païens et des étoiles je

dis tout cela est presque banal avant et

après écrire.

Il faut multiplier le mot montagne par

souffles coupés et avides retenir ce qui

peut ressembler à un étourdissement

oxygénique comme une frontière

vérifiable entre deuil et résurrection.

Glisser entre les feuilles mortes d’un

hiver tardif et se laisser rouler genoux

désarticulés et muscles rouillés sourds

à tout mouvement l’animal minéral

s’escalade et de dégringole avec une

certaine sensation d’exister pour

embrasser l’horizon.

Parfois je pense qu’il faut larguer les

amarres vite prendre le premier bateau

le premier avion le premier n’importe

quoi juste partir les bras ballants le

cœur solitaire avec le sentiment que le

monde est immense je traverse le

boulevard du port j’entends le bateau

aboyer me tenter me distraire je

manque d’écraser un passant et je me

dis qu’Alger est une sacrée putain.

Samira Négrouche, Le jazz des oliviers, Ed. Tu Tell

Bien à vous, à demain!

Géraldine

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